Bernard Reichel de A à Z ! ou presque…. !

Amis
Frank Martin, Robert Junod, Henry König, Théophile Bosshard, Alfred Berchtold … et tant d’autres ..

Amour
« Dans tous les chefs d’œuvre de la musique, chaque mélodie, chaque contour mélodique, chaque harmonie, chaque modulation contiennent un sentiment d’amour, que ce soit dans la joie, dans la gravité, dans la lenteur, dans la vivacité. Comme chez le vrai peintre, chaque coup de pinceau et chaque détail, dans le dessin, dans la couleur, exprime une ferveur, une amitié, une fraternité, un goût de la vie, de la beauté, de même dans la musique des grands musiciens, on est frappé d’abord par l’esprit qui anime le « langage », par le sentiment d’une présence. Oui, le compositeur est là, mais il transmet, il fait part d’une lumière qu’il a reçue». Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

Appia Adolphe 1862-1928
Adolphe Appia fut l’un des metteurs en scènes les plus célèbres de son époque grâce à ses conceptions de l’espace et de la lumière au théâtre, au moment où l’électricité venait de naître. Il mettait en valeur un jeu tridimensionnel vivant, parce qu’il croyait que les nuances d’ombre étaient autant nécessaires que la lumière, ce qui formait une certaine connexion entre l’acteur et son espace de jeu, entre le temps et l’espace. Il créa ainsi une nouvelle conception de l’éclairage et de la scène. Opposé aux décors historiques réalistes, il a profondément influencé par son œuvre et ses écrits la mise en scène théâtrale du début du XXe siècle. Il voyait large, et était capable de conceptualiser et de philosopher à propos de beaucoup de choses, même les plus compliquées.
Attiré par l’œuvre de Wagner, il crée dans les années 1890, une mise en scène et des décors pour plusieurs œuvres du compositeur (les Maîtres chanteurs, Tristan et Iseult …) et publie des ouvrages traitant de la « Mise en scène des drames wagnériens » suivis de « La musique et la mise en scène ».
En 1906, il rencontre Emile Jaques-Dalcroze et participe à la création de l’Institut Jaques-Dalcroze. De cette collaboration naît la série des Espaces rythmiques (1909-1910). Entre 1911 et 1913, dans le cadre de l’Institut Jaques-Dalcroze de Hellerau près de Dresde, il conçoit la scénographie de spectacles qui attirent toute l’intelligentsia européenne. D’après Wikipedia.

Archaïsme
« On parle souvent d’« archaïsme » lorsqu’il s’agit de ma musique ! Je ne suis pas fâché de cette association. Cependant j’insiste pour qu’on ne pense pas qu’il s’agit d’une décision intellectuelle de ma part. Je ne choisis pas délibérément d’être archaïque : cela n’aurait aucun sens …
J’admets que certaines tournures mélodiques font penser dans mes œuvres à des mélodies anciennes : de là, les tournures harmoniques qui sont justement mes harmonies. Mais cela provient d’une évolution tout intérieure, dirigée par mon goût pour les chants populaires anciens, surtout de France et d’Angleterre, ou pour les chants des XVè et XVIè siècle en Allemagne, et le choral et ses ancêtres.
J’ai tellement pratiqué cette musique-là, qu’il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle soit absolument et profondément assimilée dans mon esprit. Quoi que je fasse, quelques recherches que je fasse, les modes anciens, variés et enrichis à l’infini par tout ce qui s’est passé depuis le Moyen Age, sont là, ils agissent sur ma pensée. Je ne le regrette pas. Je sens en eux un terrain sûr, et comme ils ont été à la base de l’expression des hommes à travers les siècles, je puis communier par eux avec des êtres innombrables. »
Notes de Bernard Reichel.

Argent
« Je garde des souvenirs superbes de cette période de ma jeunesse (à Paris) et pourtant elle fut difficile au point de vue matériel. Mais je ne regrette pas d’avoir connu ces problèmes-là, au contraire. C’est un peu le tort des jeunes, actuellement, d’être pressés de gagner beaucoup d’argent. Voyez-vous, la composition est l’expérience d’une chose très précieuse, et il faut savoir ce que coûte la vie pour que cette expérience soit complète. »
Tiré de l’article de Blanche Strubin, La Tribune de Genève, 12 janvier 1962, page 32.

« La vie est impitoyablement chère et il faut faire des calculs à dormir debout pour nouer les deux bouts ! D’ailleurs c’est l’occasion de conquérir une sérénité vis-à-vis de ces questions-là, et ce n’est sans doute pas mauvais ! Je me dis qu’en définitive, les désirs refoulés doivent bien par-ci par-là nourrir une progression harmonique ou inspirer une belle modulation, peut-être donner naissance à une mélodie, un thème qui n’aurait pas vu le jour sans cela …
Et malgré tout, composer reste une chose terrible. Il me semble que c’est toujours plus terrible ! Je viens de terminer un quatuor à cordes. Mais vraiment, j’en suis éreinté. Il faut dire que travailler à une telle musique au milieu des leçons à l’école (qui sont bien l’opposé du quatuor à corde !!!) , des leçons à l’Institut, où il faut souvent se tuer à faire apprendre les éléments des éléments des éléments, etc, c’est une lutte dont parfois j’aimerais être délivré, ne serait-ce que pendant quelque temps. Que de rêves ne faisons-nous pas …»
Correspondance avec F. Martin, 1948.

Artiste
« On entend dire que l’artiste doit exprimer son époque. Je pense au contraire que nous sommes suffisamment submergés par la connaissance de tout ce qui se passe dans le monde, et que le rôle de l’artiste est de rappeler, dans la mesure de ses moyens, que la lumière, la paix, simplement la beauté existent toujours et sont possibles en chacun de nous. »
Bernard Reichel, Conclusion de sa conférence « D’où m’est venu le besoin de composer de la musique », 1973 (Dossier BCU FBR 341).

Beau
 » Toute recherche du beau doit être une recherche du bien ».
« Le sens du beau : La formation en soi du sens artistique ne peut s’acquérir, se développer qu’au contact des plus belles œuvres.
Cette formation engage tout l’être et occupe toute la vie, car il n’y a pas de limite à la recherche de la beauté.
Il faut d’ailleurs y travailler sans cesse, surtout si l’on veut enseigner, car on ne peut donner aux autres que ce qu’on a en soi. »
Notes de Bernard Reichel.

« Il ne faut jamais oublier que ce que nous apportons comme compositeur est vraiment peu de chose par rapport à l’ensemble du monde. Mais ce peu de chose doit être positif, un point de lumière dans l’obscurité générale. Si notre musique a pu, une fois, apporter quelque joie à quelqu’un, un moment de bonheur, un bref secours, un sourire, un instant où l’on se dit que tout n’est pas perdu, si quelques pages ont pu répandre dans le cœur d’une personne ce rayon lumineux, notre travail aura atteint son but, il aura joué son rôle, il aura apporté sa pierre dans la construction générale. »
Notes de Bernard Reichel.

« Certains ensembles de percussion peuvent être très agréables à écouter, très harmonieux, ce sont des vibrations heureusement combinées. Quelquefois la nature nous enchante par des ensembles de bruits (l’eau, le vent) ; ou des sonneries de cloches peuvent nous toucher profondément. Cependant, l’émotion et le bonheur que nous en recevons vient souvent d’associations d’idées, de sentiments qui se forment en nous (sans que nous en soyons conscients et sans que nous puissions les définir). La Beauté parle directement. La Beauté d’une œuvre musicale va plus loin et, chose extraordinaire, un Adagio de Mozart, de Bach, peut émouvoir et émerveiller un être « inculte musicalement » et enthousiasmer et émouvoir le plus savant technicien, conscient des phénomènes les plus subtils. »
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

« La perfection technique ne saurait être le but unique de la musique. Elle peut devenir une obsession qui tue toute vie.
Esthétique… Toute recherche du Beau doit être en même temps une recherche du Bien. J’ai bien des fois ressenti, en cherchant avec les élèves d’harmonie la meilleure solution dans certains cas d’harmonisation, que cette recherche était en même temps une ascension morale, qu’elle engageait tout l’être, qu’elle entraînait un perfectionnement en profondeur. En tous les cas, cette recherche touchait à des fibres très mystérieuses. Lorsqu’on dit « le plus beau » on dit en même temps le « meilleur ».
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

Bach
« D’où vient l’extraordinaire supériorité des œuvres de Bach ? Les sujets de Bach sont toujours très bien construits. Chacun d’eux forme un tout complet; c’est un personnage, un caractère, un ensemble qui possède la double qualité d’un élément vivant : il a en lui la question et la réponse, une affirmation et les conséquences de cette affirmation, une tension et une détente, un effort et un repos ; il a un caractère nettement défini.
Un sujet est une mélodie, chantable, facile à mémoriser. Ces qualités sont à la base de la fugue et se retrouvent chaque fois que le sujet apparaît. Ce sujet doit pouvoir être harmonisé de plusieurs manières et son harmonisation contient un bel équilibre entre les tons bémolisés et les tons diésés, entre la IV et la V de la tonalité. Le sujet est comme un condensé de l’ensemble.
Avec Bach, on a toujours l’impression qu’il invente « la forme de la Fugue », que la construction lui obéit, alors que dans la fugue de conservatoire, c’est au contraire le musicien qui obéit à des règles, il tâche de satisfaire certaines exigences extérieures.
On ne pourrait changer une note dans une fugue de Bach, sans fausser quelque chose.
Une pièce comme l’Aria de la Suite en Ré est au plus haut point de la musique religieuse, mais sans aucune intention de la part de Bach. Il a simplement composé un mouvement lent pour sa Suite ».
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.
Berchtold Alfred
Né à Zurich en 1925, Alfred Berchtold passe son enfance à Paris (Montmartre). Ramené à Zurich par la guerre en 1940, il vient en 1944 à Genève, attiré par l’enseignement de Marcel Raymond. Fixé dans cette ville, il s’y voue à l’enseignement secondaire et universitaire. La « Suisse romande au cap du XXème siècle » paraît en 1963 sous forme de thèse, précédée et suivie d’autres écrits consacrés pour la plupart, comme ses chroniques journalistiques et ses conférences, à l’histoire intellectuelle et artistique du pays, dans ses relations avec l’Europe. Alfred Berchtold a reçu entre autre les prix Oertli, Brandenberger, SIGPA-Europe, le prix quadriennal de littérature de la ville de Genève, ainsi qu’un doctorat honoris causa de l’Université de Lausanne.
Petite bibliographie au dos de son livre « Cinq portraits », Ed l’Age d’Homme.

Bibliothèque Cantonale et Universitaire – Lausanne Fonds musical Bernard Reichel 1974
« C’est un rare privilège pour une bibliothèque d’accueillir du vivant d’un compositeur son œuvre quasi complète et d’ordonner celle-ci avec lui. Ce privilège a été accordé à la BCU qui abrite maintenant le Fonds Bernard Reichel totalement séparé des autres collections d’archives musicales conservées à la bibliothèque. En effet, le compositeur vaudois, bien qu’ayant vécu à Genève, a décidé de remettre à la BCU toute son œuvre en janvier 1974. Il nous a donc été possible d’entreprendre aussitôt le catalogage et le classement de ces documents sous son regard, dans un parfait esprit de collaboration. Nous aimerions remercier ici Bernard Reichel des nombreux conseils qu’il nous a apportés tout au long de la rédaction de l’inventaire que nous publions aujourd’hui.

Le fonds Bernard Reichel, consultable dès aujourd’hui, constitue un grand enrichissement pour le département de la musique de la BCU ».
Jean-Louis Matthey, Avant-Propos de l’inventaire du Fonds musical Bernard Reichel déposé à la Bibliothèque Cantonale et Universitaire de Lausanne, département de la Musique en 1974.

En mars 2003, l’Association Bernard Reichel a remis la totalité des manuscrits autographes du compositeur à cette bibliothèque. Les partitions peuvent être consultées à la BCU.

Bosshard Rodolphe Théophile 1889-1960
Reichel aime rappeler tout ce qu’il doit à son cousin, le peintre Bosshard, « un volcan qui explosait, sévère avec lui-même, généreux avec autrui ». Il partagea souvent son atelier parisien, mieux chauffé que sa froide chambre d’étudiant ; l’un composait, l’autre peignait. Parfois, Bosshard se mettait au piano et improvisait des valses viennoises.
« Bernard Reichel a 80 ans », Myriam Tétaz-Gramegna, Journal « Vie Protestante » septembre 1981.

(…) »Le musicien parle du peintre, et je pense en l’entendant, à ma rencontre avec Bosshard, peu de temps avant sa mort, où je trouvais l’artiste vaudois profondément attentif à la retransmission d’une symphonie de Beethoven. »
Alfred Berchtold, « Promenade avec Bernard Reichel ».

« Nous étions ensemble à Paris. C’était (T.B.) un esprit très strict, généreux, qui m’incitait à sortir de moi-même. Et il adorait la musique, comme moi la peinture. On ne photographiait pas, à l’époque, on avait un album de croquis ! »
Gazette de Lausanne, Jean-Claude Poulin, 2 avril 1977

Figure majeure de la peinture suisse de la première moitié du XXe siècle, Rodolphe-Théophile Bosshard est né à Morges le 7 juin 1889, d’un père d’origine zurichoise. Sa mère, Neuchâteloise, est née à Nîmes.
Porteur d’un baccalauréat classique, passionné de dessin, il entre à l’école de Beaux-Arts de Genève en 1907, où il est l’élève de Pignolat d’Estoppey et de Gilliard. Il se rend à Paris en 1910 avec son ami le peintre Gustave Buchet, puis à nouveau en 1914. Il y retournera, jeune marié, et porteur d’une bourse fédérale en 1920. Installé à Montparnasse pendant quatre ans, il noue de multiples amitiés dans le milieu bouillonnant de l’époque : Marc Chagall, Ossip Zadkine, André Derain, Charles Despiau, Charles Dufresne (peintre), Jean Lurçat… et les Suisses Cingria, Clément et Paul Budry.
Il expose, attire l’attention de la critique, se fait un nom. Puis il rentre au pays, tout en exposant régulièrement dans la capitale française. Installé à Riex puis à Chardonne, il ponctuera son travail de nombreux voyages : au Tessin dans le Midi, en Grèce, en Algérie. Quelques grandes commandes pour le crématoire de Vevey, l’Ecole de jeunes filles de Lausanne, Radio-Lausanne, la Mutuelle vaudoise.
De ses emballements pour Ferdinand Hodler et l’expressionnisme allemand de ses jeunes années à l’abstraction des années cinquante, l’art de Bosshard n’a cessé de se renouveler, dans ses paysages, ses natures mortes, ses nus, sans que jamais il n’abandonne le rêve et la lumière qui lui sont propres.
Il s’éteint le 17 septembre 1960. Il est enterré à Chardonne dans le petit cimetière qui domine le lac.
Tiré de Wikipedia.

Cathédrale
Ce serait taire une part de la personnalité de Reichel que de ne pas parler enfin de son amour des cathédrales, de la fascination de leurs grandes architectures, qui n’ont guère de secret pour lui, à commencer par celle de Lausanne.
« Bernard Reichel a 80 ans », Myriam Tétaz-Gramegna, Journal « Vie Protestante » septembre 1981.

« L’architecture est la musique des pierres ». Autant sans doute que la peinture, les grandes architectures de notre Occident chrétien et pré-chrétien ont ému Bernard Reichel. Le compositeur Ernst Levy lui fit découvrir les recoins les plus cachés de la cathédrale de Chartres. Lui-même a reconstitué cette cathédrale en un modèle réduit et peu de compliments, au sortir d’une audition de ses oeuvres, lui ont fait sans doute autant de plaisir que cette question: « Vous avez vu Chartres, n’est-ce pas ? ». D’ailleurs, le mot « constructif » est important dans son vocabulaire.
Alfred Berchtold, «Promenade avec Bernard Reichel ».

La cathédrale Notre-Dame de Chartres, en France, est située à 80 kilomètres au sud-ouest de Paris. Elle est considérée comme la cathédrale gothique la plus représentative, la plus complète, ainsi que la mieux conservée.
L’actuelle cathédrale, de style gothique a été construite au début du XIIIe siècle, pour la majeure partie, en 30 ans, sur les ruines d’une précédente cathédrale romane, détruite lors d’un incendie en 1194.
Grand lieu de pèlerinage, cette cathédrale et ses tours dominent la ville de Chartres et la plaine de la Beauce alentour. Elles s’aperçoivent à plusieurs dizaines de kilomètres de distance.
Tiré de Wikipedia.

Coeur
« Il faut se méfier du plaisir sensuel (égoïste), car il forme une sorte de couche de séparation qui empêche la vie ambiante de pénétrer son propre cœur ; car la vie n’est complète que lorsqu’il y a échange, lorsque les forces centrifuges vont à la rencontre des forces centripètes, lorsque la vie intérieure est nourrie par les richesses venant de l’extérieur et lorsque l’entourage est enrichi par ce qui naît en nous ».
Notes de Bernard Reichel.

Commandes
« Le nombre considérable des œuvres religieuses que j’ai écrites est dû, en partie, aux circonstances. J’ai eu de nombreuses commandes émanant de paroisses, du Locle, de Lausanne, de Berne, de Lemgo, entre autres. Commandes parfois bien payées, parfois peu ou pas du tout.
Mais en soi la commande est un stimulant précieux : l’on travaille sur des données précises et la date de livraison oblige à se discipliner et à se concentrer. L’on n’a pas le temps de se perdre dans des recherches abstraites, c’est une protection ! … »
Tiré de l’article de Blanche Strubin, La Tribune de Genève, 12 janvier 1962, page 32.

Compositeur
De la mission du compositeur, BR a une conception très élevée. Il me l’expose par petites phrases allusives, fruits de méditations et d’expériences, et qui, de l’humain à l’éthique, de la métaphysique au spirituel, embrassent toutes les nuances d’une pensée exigeante, avide de sincérité et de pureté :
« Il est beaucoup plus difficile de faire de la musique simple que de la musique compliquée.
Quand l’art n’est plus humain, il a perdu sa valeur d’art.
On ne peut dissocier l’artiste de l’homme, et à cause de cela, il ne saurait y avoir de concessions possibles ni sur un plan, ni sur l’autre. « la musique est une chose sérieuse » a dit Lipatti ; elle l’est aussi pour moi: c’est une chose grave qui touche à l’essence même de la vie. Jusque dans une page gaie, cette gravité demeure, en ce qu’elle requiert de conscience, d’honnêteté de la part de l’auteur. »
Et encore :
« Il existe des forces étrangères à nous-mêmes, sur lesquelles nous n’avons pas de prise, mais qui ont prise sur nous ; et c’est pour cette raison que dans la création musicale n’intervient pas seulement le facteur du propos délibéré, de la volonté arrêtée, mais encore une grande part d’obéissance. Avec humilité, le compositeur doit s’efforcer de faire au mieux ce pour quoi il a été « appelé ».
Tiré de l’article de Blanche Strubin, La Ttribune de Genève, 12 janvier 1962, page 32.

« Je crois bien que je suis né compositeur ! Pour moi, la composition a toujours été une exigence intérieure et je lui ai consacré toute ma vie. Ma musique repose sur un fond tonal, ce qui ne m’empêche pas d’utiliser tous les degrés de la gamme chromatique et de moduler librement dans tous les tons, à la façon d’un kaléidoscope ! »
Gazette de Lausanne, 11 mars 1990.

BR « pianotait »  avant même de connaître les notes. A huit ans, il écrivait sa première sonate. Sa vocation fut de celle qui se dessine de bonne heure, et le petit garçon que l’on avait toute la peine du monde à envoyer se coucher, en ces vendredis soirs où son père s’adonnait à sa passion du quatuor à cordes, savait déjà à quoi il consacrerait sa vie.
Tiré de l’article de Blanche Strubin, La Tribune de Genève, 12 janvier 1962, page 32.

« Le compositeur peut écrire les musiques les plus diverses, s’il écoute au fond de lui-même ce qu’il doit dire, il ne risque pas de se tromper. Les différences de style sont superficielles. Le fond de sa musique sera toujours vrai, toujours le même. Voir Mozart, Bach, Wagner, etc.
Il ne faut jamais choisir une manière, une technique : il faut se laisser guider par une force intérieure, par l’instinct, par la voix intérieure qui vous dit : « ça va » ou « ça ne va pas ». J’ai eu un jour un jeune élève qui m’annonça qu’on lui avait demandé de mettre en musique un texte. Il étudiait l’harmonie classique mais cela l’ennuyait, et il se plongeait dans Alban Berg à longueur de journée. Il finit par me dire : « je ne sais pas si je ferai du tonal ou de l’atonal…mais je crois que ce sera atonal. »
Jamais un composteur ne se pose une question pareille ! »
Notes de Bernard Reichel.

« Le compositeur a tout avantage à faire autre chose encore que de la composition. L’échange avec les élèves, par exemple, est infiniment rafraîchissant ; pour ma part, j’aurais beaucoup de peine à y renoncer. Certes, il ne faut pas qu’il vous prenne tout votre temps ni qu’il vous mange toutes vos forces : certains élèves vous « vident » littéralement. Mais, d’un autre côté, l’approfondissement auquel vous obligent les leçons vous amène souvent à une véritable prise de conscience de vous-même ; c’est encore une manière d’aider à la composition. Et puis, j’estime qu’il ne faut pas se couper du reste du monde, que le contact humain doit être maintenu à tout prix. »
Notes de Bernard Reichel.

Comme tout compositeur digne de ce nom (je pense en particulier à son cher ami Frank Martin), Reichel a connu des heures de doute et des périodes d’aridité. Mais quelle joie illuminait son clair visage lorsque des interprètes amis révélaient une de ses œuvres à un public réceptif ; quelle satisfaction aussi du pédagogue livrant les secrets de sa riche expérience à des élèves sensibles et curieux d’esprit !
Christiane Montandon, 2 octobre 1993, Journal de l’Institut Jaques Dalcroze : « Autour de Bernard Reichel, souvenirs et impressions ».

« Je me demande parfois si mon combat a été utile … J’ai fait plaisir à quelques centaines de personnes, mais cela me paraît dérisoire. Que leur ai-je apporté au juste ? S’il y en a deux ou trois qui ont ressenti la présence d’une puissance supérieure exprimée par ma musique, cela aura donc valu la peine … Mais il me semble toujours qu’il y a encore quelque chose de capital que je dois encore dire. Où trouver la force ?
Notes de Bernard Reichel.

Bernard Reichel ne cherche ni à frapper l’auditeur, ni à créer du nouveau à tout prix. Il veut dire la beauté, révéler un certain sens de la vie qui doit s’exprimer avec toutes les forces qui sont en l’homme : sentiment et intellect composant cette richesse d’âme sans laquelle il n’y a pas de musique.
Ce n’est pas pour la critique ou le grand public international que Reichel écrit car, dit-il, « On ne vit pas à l’échelle de l’humanité, mais des gens qu’on rencontre ». Et il évoque avec émotion les concerts où il a senti que public, interprètes et compositeur communiaient dans la joie, le sérieux et la reconnaissance.
« Bernard Reichel a 80 ans », Myriam Tétaz-Gramegna, Journal « Vie Protestante », septembre 1981.

Composition
« En travaillant à ce festival (le Festival Neuchâtelois 1948) je vois combien il est nécessaire de travailler la mélodie ! J’ai de la peine à bâtir une simple mélodie, bien solide, bien tournée, bien élégante. Et que d’habitudes j’ai, qui remplacent trop souvent la vraie invention. Il y a d’ailleurs dans les habitudes de bonnes choses, des éléments de construction qui sont mieux que de simples habitudes, mais qui sont peut-être des bases, des principes qu’il ne faut pas se gêner d’employer (comme le I IV V I des classiques ; ) de plus en plus, je me demande ce qu’aurait fait Bach sans des formules de basse comme celles-ci…
Est-ce remplaçable ?
Bien que je reste partisan de la composition au piano, je souffre souvent de ne pouvoir partir en avant, donner d’abord la grande ligne ! mais il est évident qu’il faut tout mettre au point à mesure ; j’aimerais avoir une mémoire assez formidable pour enregistrer les symphonies que je me chante parfois en marchant par exemple ! il me semble que cela se tiendrait si bien, serait si inspiré, si coulant ! Souvent, quand j’entends des suites d’accords, des constructions polyphoniques inconsciemment … au moment où je veux en prendre conscience, elles s’évanouissent. Que c’est dur !!! la composition ; comme on se sent impuissant souvent et trop compliqué. »
Correspondance avec F. Martin, 1947.

« …je ne sais plus ce que vaut mon travail, et il sera grand temps que tu viennes mettre un peu d’ordre et de tenue dans ma musique… Hélas, je travaille à ce festival neuchâtelois, c’est une lutte incessante pour savoir jusqu’où je puis aller dans … comment faut-il dire ! dans l’audacieux, dans l’inconnu ! Il n’en faut pas trop, il faut penser à la sonorité dans une de ces gigantesques cantines, où le son doit avoir le temps de se répandre, où tout doit être vu et entendu en grand – cela pose mille problèmes… »
Correspondance avec F. Martin, 1947.

« J’avais commencé il y a plus d’un an une grande pièce pour orchestre ; et cela est devenu … une symphonie en 4 mouvements, que j’ai terminée il y a 5 ou 6 jours. Quelle aventure !
Il me faut le grand orchestre; j’avais espéré pouvoir me contenter d’un plus petit ensemble, mais mes accords par 3 exigent les groupes de 3 ; et je mets aussi un célesta, une harpe, et un piano (je n’ai encore jamais employé la harpe dans mes compositions ! Ta symphonie m’en a donné envie) …
Mais que j’aimerais te montrer tout cela, et entendre tes remarques, avoir ton opinion ! Mon finale se termine de nouveau par une sorte de choral, mais cette fois englobé dans l’ensemble et accompagné par une manière de gigue des cordes. Il me reste encore à revoir la dernière mesure du premier mouvement, et alors, je serai vraiment au bout de la construction. Restera l’orchestration, avec ses infinies possibilités. Ce problème de l’orchestration se pose tout autrement pour une grande œuvre que pour une pièce courte ; dès la première mesure, on peut tout abîmer, ou diriger mal l’esprit de l’auditeur qui lui, doit du premier coup se sentir pris dans le mouvement général, et avoir la perspective de l’ensemble. »
Correspondance avec F. Martin, 1947.

« Personne n’est obligé de « trouver du nouveau ». Proclamer que la nouveauté est une condition de la création artistique est une absurdité. Lorsqu’on regarde, ou qu’on joue ou qu’on entend les chefs d’œuvre de Bach, Schubert, tout est nouveau dans cette musique, car elle vient d’un contact vivant (sans cesse renouvelé) avec la vie elle-même. Le nouveau ne se cherche pas, il se trouve. Le compositeur se promène dans la nature, pour absorber la chaleur, le bon air, les belles couleurs, la joie du mouvement, pour ressentir la vérité contenue dans sa relation avec le monde qui l’entoure, pour éprouver l’harmonie qui s’établit entre lui et le monde ambiant. Une fois au travail, ce qu’il aura vécu sera présent partout dans son œuvre, et s’il cherche quelque chose, ce sera à construire une œuvre bien équilibrée, bien « menée », belle à écouter et peut-être sans qu’il l’ait voulu, nouvelle, pleine de fraîcheur.
Il me semble qu’on a beaucoup trop peur de « ressembler à quelque chose », de refaire du connu. C’est une attitude fausse. Ce qu’il faut craindre, c’est de fabriquer de « l’extraordinaire » ; ce n’est pas avec la volonté qu’on fera quelque chose d’extraordinaire – l’extraordinaire vient de plus loin que cela. »
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

« Il me semble qu’il va de soi que la musique exprime la personne ; aussi le compositeur n’a pas à chercher à s’exprimer ; quoi qu’il fasse, il sera dans son œuvre, même s’il essayait de ne pas y être. Son travail, c’est de construire de la musique solide, bien équilibrée. Il doit s’oublier, il doit n’avoir qu’une pensée : faire du beau travail. C’est ridicule de vouloir parler de soi, se raconter : ça ne vaut pas la peine. »
Notes de Bernard Reichel.

« Départ d’une composition : une émotion ; conversation ; lecture ; choc ; paysage ; une musique entendue ; une commande ; un timbre ; un bruit (portail, vaisselle) ; une chanson ; une voix d’enfant ; une de ses propres compositions dont on sent un nouveau développement ; un tableau ; une architecture ; un vitrail ; quelque chose d’insolite ; un souvenir ; une image intérieure ; un geste ; la marche, etc ; les langues (rythme de la langue).
Notes de Bernard Reichel.

Conditions de vie en 1949
« …Mardi passé, naturellement, j’étais à l’écoute. C’était chez des voisins, avec un pauvre petit poste qui a eu grand peine à capter Beromünster. Hélas, ce Concerto plein de vie et de couleur était réduit à un gazouillis lointain, par moment cela enflait puis disparaissait …ô désespoir … je tendais l’oreille et l’appliquais presque contre la boîte quand subitement la sonorité grandissante me projetait en arrière. J’étais parfois sur le point de couper : mais je voulais tout entendre, accrocher tout ce que je pouvais ; j’ai ainsi une vague idée du tempo général, de la ligne, mais si approximative, si fausse, que je ne puis émettre aucun jugement ! J’attends l’exécution à Genève, dont je me réjouis énormément. Je me représentais le casino, la foule, et toi présent, il y avait d’étranges résonances, je sentais l’espace ; j’ai bien écouté les applaudissements, et ai pu imaginer tes salutations au public !… »
Correspondance avec F. Martin, 1949.

Jaques-Dalcroze Emile 1865-1950
Originaire de Sainte-Croix dans le canton de Vaud (Suisse), Emile Jaques-Dalcroze (1865-1950) est né à Vienne (Autriche). La famille s’établit à Genève dix ans plus tard. Compositeur et musicien, il effectue ses études musicales à Genève, Paris (avec Delibes et Fauré) et Vienne (avec Bruckner). C’est entre 1892 et 1910, alors qu’il enseigne l’harmonie au Conservatoire de Genève, qu’il rompt avec une approche purement théorique pour élaborer la rythmique, pédagogie interactive et pluridisciplinaire fondée sur la musicalité du mouvement et l’improvisation.
En 1910, Jaques-Dalcroze s’installe en Allemagne dans la cité-jardin de Hellerau près de Dresde, où des mécènes, les frères Dorhn, lui ont édifié un institut sur mesure. C’est dans ce laboratoire du futur qu’il poursuit ses recherches sur l’éducation musicale, le mouvement et la création artistique, matérialisées par des spectacles basés sur la scénographie révolutionnaire d’Adolphe Appia. Cette collaboration inédite attire toute l’intelligentsia européenne : Ballets russes de Diaghilev (qui s’adjoignit, en la personne de Marie Rambert,  un professeur de rythmique à l’influence décisive sur le Sacre du Printemps), Bernard Shaw, Arthur Honegger, Ernest Bloch, Le Corbusier, Paul Claudel, Stanislawski ou Ernest Ansermet, pour ne citer qu’eux. De cette expérience sont issues de nombreuses écoles de formation Jaques-Dalcroze dans le monde entier.
Site de l’institut Jaques-Dalcroze.

« En tant que maître de composition, J.D savait faire abstraction de lui-même, de ses conceptions propres, et cela d’une manière qui m’étonne quand j’y pense aujourd’hui. Loin d’imposer ses idées personnelles, il avait le pouvoir de développer chez ses élèves leur propre individualité, de les révéler à eux-mêmes dans leur ligne. Cette capacité est admirable et extrêmement rare ».
Notes de Bernard Reichel.

Dodécaphonisme
C’est en compagnie de Frank Martin, avec qui il était très lié, que Bernard Reichel approcha le dodécaphonisme. « On a essayé ensemble d’y voir clair, en ennemis que nous étions de l’intellectualisme. L’essentiel est de garder le contact avec les racines de la musique pure. »
« Une heure avec Bernard Reichel », texte de P.-O. B , 2.12.1985, Journal de Genève.

« Je ne condamne pas ce principe  à priori : je l’ai expérimenté par intérêt. Mais je ne puis me diriger dans ce sens : pour moi, l’excès de théorie freine la sensibilité. Au surplus, la série empêche la ligne mélodique simple, naturelle, que les enfants peuvent chanter, qui reste avec son contour bien défini dans l’esprit. Et puis, dans ce système, il y a au départ déjà, un effet de saturation. Voyez un vitrail : il se limite à quelques couleurs, six ou sept, au maximum. Ce n’est qu’à ce prix-là qu’il obtient sa luminosité. La surcharge des teintes le ferait paraître gris. De même une œuvre dodécaphonique me semble grise, à cause de ses douze notes simultanées. On aimerait tellement une fois entendre la treizième !.. »
Tiré de l’article de Blanche Strubin, La Tribune de Genève, 12 janvier 1962, page 32.

Eblouissement
« Je n’aime pas entendre dire qu’un compositeur, pour telle œuvre, a « choisi un style », a choisi une manière, etc. Cela ne se passe pas ainsi. Le compositeur cherche à exprimer avec exactitude et vérité ce qu’il a à dire, la manière découle de cette recherche, le « langage » se crée à mesure. S’agit-il d’exprimer un éblouissement, un éclat lumineux, je ne puis voir le compositeur se dire : « Là, je vais mettre des accords majeurs, etc ! Peut-être le passage sera-t-il fait d’accords majeurs ? Peut-être, mais pas par décision intellectuelle. – Le langage découle d’un état intérieur, d’un élan, d’une force non analysée, d’un désir, d’un regard intense lancé vers la vie, vers le ciel, la lumière. »
Notes de Bernard Reichel.

Ecrivains
Mistral, Hugo, Goethe et Dickens comptent avec C.G. Jung et Teilhard de Chardin parmi ses auteurs de base. Il aime à citer le mot du poète du Mireille:
« Tel qui me laissera libre dans ma pensés, libre dans mon parler, libre dans ma voie, libre de m’épanouir conformément à ma nature, celui-là est mon ami, et je suis son compatriote. Mais celui qui me gênera dans ma manière d’être, mais celui qui se moquera de mes larmes ou de mon rire, mais celui qui me forcera de changer mon langage, qu’ il aille au diable ! … »
Alfred Berchtold « Promenade avec Bernard Reichel ».

Enfance
« Quand je pense à mon enfance, je constate que nos parents et toute la vie familiale nous ont donné comme une assurance qu’il existe un monde autre que le monde matériel, terrestre qui nous entoure. Partout le symbole, grâce aux fêtes religieuses, à l’art, aux joies inouïes de l’esprit, par la musique, la peinture, l’architecture, la lecture ; et cette conviction s’est gravée avec une force prodigieuse dans nos cœurs. Il y a une présence insaisissable physiquement, toujours fidèle, évidente, qui fait qu’on n’est jamais seul, mais toujours « sous un regard ». Bien entendu, ce sentiment est répandu et nos amis les meilleurs le connaissent : cela donne une certaine « couleur », un certain caractère aux échanges, aux conversations, à tous les contacts. J’ai trop souvent oublié, ou laissé s’affaiblir le sentiment en moi de cette présence bienfaisante… C’est pourtant le seul fondement, le seul guide, la seule lumière pour avancer dans la vie. Ne plus sentir cette présence, c’est un abandon, c’est une erreur énorme, une faiblesse impardonnable.
C’est en lisant un petit recueil  „Weisheit des Abendlandes aus alter und neuer Zeit“ que ces pensées me sont venues. Les majuscules sont ornées, enluminées et, considérant un simple petit feuillage doré, j’ai revu tous nos anciens Noëls, j’ai retrouvé toute l’atmosphère de chaleur, de mystère, de joie intime des années d’autrefois. »
Notes de Bernard Reichel, 1964.

Exécution des œuvres
« …entre la composition elle-même et l’opinion du critique, il y a encore place pour l’exécution . L’interprète transmet. Cette transmission peut être fidèle et refléter exactement la pensée du compositeur. Mais pas nécessairement. Il peut même y avoir de grosses erreurs. L’auditeur ne peut savoir qu’il s’agit d’erreurs, s’il entend l’œuvre pour la première fois. Le critique parlera de ce qu’il a entendu, sans se dire qu’il aurait dû – par conscience professionnelle – connaître la partition avant. S’il se glisse une faute dans l’exécution d’une œuvre classique, jamais l’auditeur n’accusera Mozart ou Beethoven, mais bien l’exécutant. S’il se glisse quelque erreur dans l’exécution d’une œuvre nouvelle, c’est le compositeur qui sera accusé… »
Notes de Bernard Reichel.

Faller Charles 1891-1956
« Nous avons eu la chance de voir arriver au Locle, en 1914, un grand musicien, Charles Faller. Il était entreprenant et il réussit à créer une vie musicale intense avec les moyens de bord, assez restreints.
Faller me mettait à contribution pour copier les parties, réaliser les continuo, diriger parfois des répétitions (j’avais une peur horrible…), tenir l’orgue au concert, bref, c’était un apprentissage par la pratique. Certes, ce n’était pas la perfection que l’on connaît de nos jours. Mais il y avait l’enthousiasme et toute la population participait. J’ai souvent pensé depuis lors qu’une certaine imperfection vivante vaut mieux qu’une perfection morte. »
Notes de Bernard Reichel.

C’est en 1915, à l’âge de 24 ans à peine, que Charles Faller débarqua au Locle pour y tenir les orgues du Temple français. Il avait fait à Genève de brillantes mais libres études, reçu en 1910, à 19 ans, le Prix de la Société des musiciens suisses, exercé son art à Lyon. Elève de Marie Chassevant, Otto Barblan, Emile Jaques-Dalcroze, Faller avait, selon l’expression de l’inventeur de la rythmique, une ambition passionnée :  » musicaliser  » un village, une ville, une région. C’est précisément ce qu’il fit au Locle d’abord, puis à La Chaux-de-Fonds, autrement dit dans les montagnes neuchâteloises. Il fonda la Société de musique et la Chorale mixte du Locle, réformant le chant sacré et introduisant l’étude et l’exécution des grandes œuvres du répertoire classique, Bach et Haendel en tout premier lieu. Appelé à diriger la Société Chorale de La Chaux-de-Fonds, il s’y fixa et de là créa le Conservatoire de cette ville avec sa filiale l’Ecole de musique du Locle. Dès lors, les Hauts neuchâtelois possédaient leur centre d’enseignement et d’exécution musical permettant la formation de professionnels et de ces bons amateurs dont tous les ensembles, qu’ils soient symphoniques, de chambre, choraux, voire de fanfare, ont un besoin constant. …. Entre temps, cet infatigable pédagogue, musicien et organiste (depuis 1929 au clavier de la Cathédrale de Lausanne dont il organisa la chorale et les concerts) réussit à composer trois orgues nouveaux, au Locle, à Lausanne et enfin à la Salle de musique de La Chaux-de-Fonds. …
Ordiecole.com : Charles Faller, parJean-Marie Nussbaum.

Génie
« Le génie des grands artistes, ce n’est pas l’habileté ou la maîtrise technique, ce n’est pas d’avoir trouvé du « nouveau », c’est d’avoir obéi à une force 1000 fois supérieure à eux-mêmes et d’avoir transmis le message exactement.
Cela est exprimé merveilleusement par le tableau de Rembrandt, St Matthieu écrivant sous la dictée de l’ange.
Ecouter l’ange, ce n’est pas toujours si facile … Il faut faire le silence en soi, il faut redevenir comme le petit enfant, il faut attendre avec une patience infinie que ce que dit l’ange soit perçu bien clairement. De là la nécessité d’un grand silence, d’une grande solitude. »
Notes de Bernard Reichel.

Honegger Arthur
Autre moteur privilégié de la vie de cet homme dont aucun propos ne laisse indifférent, c’est la découverte d’Arthur Honegger. « Grâce à lui j’ai fait un saut dans la musique libérée du classicisme. Mais sans jamais tomber dans les aventures d’un art qui a emprunté d’étranges chemins. Dès que la musique « ne parle plus du tout à l’être humain, elle devient gigantesque déraillement. Pourquoi cet aveuglement ? »
« Une heure avec Bernard Reichel » texte de P.-O. B, 2.12.1985, Journal de Genève.

« Mon séjour à Paris se situe à l’époque du Roi David ; Honegger était alors en pleine forme. »
Ttiré de l’article de Blanche Strubin, La Tribune de Genève, 12 janvier 1962, page 32.

Humour
 » (….) Bernard Reichel n’a pas la bonté du faible, mais cette clarté du regard qui en appelle en quelque sorte au meilleur moi de son interlocuteur et qui nettoie l’atmosphère où s’établira l’entretien. S’il a le sens de la nuance, le sens de l’autre, l’esprit d’accueil, il a surtout le don de l’humour libérateur. Et l’on voudrait voir rééditer ses compositions graphiques (ses bandes dessinées) d’un authentique héritier de Toepffer: Le Tombeau de Basile et Le Martyre de Sébastien conçues en collaboration avec Frank Martin et Eric Schmidt. Cet humour qui se manifestait déjà dans les Chants Indiens du festival du Locle en 1931, éclate, pétille dans ses Goethe-Lieder, notamment dans le chant des grenouilles et la Katzenpastete. Il lui permet de goûter comme elles le méritent les paraboles hassidiques, déconcertantes pour certaines âmes religieuses un peu timorées. »
Alfred Berchtold. «Promenade avec Bernard Reichel».

Lettre de Bernard Reichel à M-J.E à la suite d’un concert anniversaire à la Cathédrale de Genève:
Lutry, Vendredi
Chère M-J
Ta lettre nous a amené une bonne bouffée de santé, d’humour, de bon sens et autres choses excellentes pour la santé du corps et de l’âme : nous te disons un grand merci de six toises de long et de 22 coudées de large.
En sortant de la belle Cathédrale, nous nous sommes dépêchés d’oublier la fin du concert, car tant de « petits bruits » à la suite les uns des autres étaient une curieuse épreuve dont on se serait gaillardement passé, et formaient une malheureuse contradiction avec les beaux discours qui avaient précédé.
Je vois dans mon dictionnaire des synonymes que le mot « inutile » a aussi le sens de improductif, inefficace, infécond, infructueux, insignifiant, négligeable, stérile, superflu, vain, oiseux, sans objet, futile, gering, wertlos, unbetentent, unfructbar, unergiebig, nutzlos, vergeblich, et en labradorien bouvachk, et en javanais lumichzwolangnangtokeri. Tous ces mots m’ont occupés l’esprit pendant la longue chose ennuyeuse et m’ont aidé à passer le temps. Tu as remarqué à la 27ème mesure, comme c’était beau lorsque le tambour et la cymbale ont fait une ébouriffante modulation de do bémol mineur à la double dièze, mineure aussi. Ça, ça compte et on s’en souvient. Evidemment on aurait mieux fait de faire chanter un peu de musique à ces enfants. Il faudra y penser lors du centenaire.
….
Mais après tout ça, aller à une réception…D’ailleurs, je ne puis plus veiller, je garde mes forces pour composer et admirer les couchers de soleil.
En rentrant, en compagnie des Junod, nous avons éclaté de rire neuf fois et avons dormi comme des diables d’anges que nous sommes.
Bernard.
Lettre à M-J.E, Journal de l‘institut J.Dalcroze. 1993.

Le Tombeau de Monsieur Basile
En 1933, Frank Martin et Bernard Reichel imaginèrent une histoire « humoristico-tragique » Le Tombeau de Monsieur Basile . Bernard fit les dessins et Frank Martin écrivit le texte.
Ils réalisèrent le tout sur du papier-calque, dont on fit des tirages héliographiques. Ce petit album est inspiré des albums de Rodolphe Toepffer.

Dans le même esprit : Le Martyre de Sébastien avec des textes de Eric Schmidt
Tous deux aux éditions Slatkine.

Illusions
« Après l’audition de mon Te Deum, j’ai cru que cette œuvre intéresserait d’autres ensembles, d’autres chefs de chœur, d’autres musiciens. Rien ! Quelques amis ont écouté l’enregistrement, quelques-uns ont désiré l’entendre encore une fois, deux fois. Puis le temps a passé, on n’en parle plus. Œuvre d’un moment. Ce Te Deum a juste joué son rôle. Joie d’un moment. Cela est bien. Maintenant, je n’en suis pas encombré. J’ai la preuve qu’il a vécu, qu’il a parlé, dit ce qu’il avait à dire, qu’il pourrait ressortir de l’ombre, de la nuit. Peut-être apparaîtra-t-il comme nécessaire un jour. Je réfléchirai à quoi tient la disparition d’une œuvre. Certains de ses éléments sont étrangers aux préoccupations du monde actuel. Peut-être une place trop grande accordée aux solistes ?
Je viens de relire des lettres d’amis après l’exécution du Te Deum. Je vois des êtres si profondément touchés, émus par cette musique ! Cela me redonne confiance. »
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

Improvisation
B.S :comment peut-on enseigner l’improvisation ? cela semble bien paradoxal !
« On apprend à l’élève à réaliser directement à l’instrument, des basses chiffrées, à harmoniser des mélodies. Cela développe énormément l’oreille. Mais il faut bien reconnaître que les élèves qui y réussissent le mieux sont ceux qui ont pratiqué cette matière tout petits déjà. Il faut d’ailleurs laisser à l’enfant l’occasion de « pianoter » autant que possible : il éveille ainsi, tout en jouant, sa sensibilité musicale . »
Tiré de l’article de Blanche Strubin, La Tribune de Genève, 12 janvier 1962, page 32.

Influences
« L’enseignement de J. Dalcroze m’a permis d’explorer le domaine du rythme, de me libérer dans ce sens-là.
D’autre part, en tant que maître de composition, J. D savait faire abstraction de lui-même, de ses conceptions propres, et cela d’une manière qui m’étonne quand j’y pense aujourd’hui. Loin d’imposer ses idées personnelles, il avait le pouvoir de développer chez ses élèves leur propre individualité, des les révéler à eux-mêmes dans leur ligne. Cette capacité est admirable et extrêmement rare. Dans le domaine de l’harmonie et de la mélodie, j’ai subi d’autres influences : j’ai beaucoup pratiqué le choral, la mélopée grégorienne, le chant populaire ; c’est le fonds auquel puise principalement ma musique. »
Tiré de l’article de Blanche Strubin, La Tribune de Genève, 12 janvier 1962, page 32.

« Influences : le peintre Th.Bosshard, qui était mon cousin, le sculpteur Henry König, et bien sûr Frank Martin, le musicien, dont je fus le plus proche. »
Gazette de Lausanne, Jean-Claude Poulin, 2 avril 1977.

Intensité
« En toutes choses, la quantité n’a aucune importance. Ce qui importe, c’est l’intensité. Beaucoup de grands hommes, d’autrefois (Goethe), d’aujourd’hui (Bosshard) ont relativement peu voyagé (peu en comparaison de ce que tout le monde fait, ou peut faire aujourd’hui). Pour un être réceptif, imaginatif, créateur, une vision fugitive peut être la source d’un vaste ensemble, d’un magnifique développement, d’une puissance infiniment riche, colorée, dense. Bien des gens font le tour du monde et il n’en reste rien. D’autres sont comblés par quelques pas dans la maison. »
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

Joie
Une des premières oeuvres composées par Bernard Reichel, en 1917, s’intitule Dies est laetitiae. Oui, on l’a vu, c’est à la Joie qu’est vouée l’oeuvre d’un homme que l’épreuve n’a pas épargné…
. …Et surtout, plus profondément encore, nous émeut ce chant pur, nourri d’une intense vie intérieure, qui dans presque toutes ses grandes oeuvres, s’élève soudain: violon, hautbois, ou voix humaine. Le chant de l’âme inquiète et apaisée.
Alfred Berchtold  « Promenade avec Bernard Reichel ».

Sa musique est l’expression de sa vie intérieure. Plus qu’à capter l’instant qui passe, elle vise à une sorte de pérennité. Ses ancêtres de la Forêt-Noire ou de la Silésie parlent peut-être encore pour lui. Son langage est moderne, mais je l’imagine volontiers comme un de ces musiciens du nord de l’Allemagne aux XVIIe ou XVIIIe siècles pour qui la foi était un élément naturel, et leur art n’existant que pour célébrer la gloire de Dieu.
Roger Boss, Revue musicale de Suisse Romand, oct 1991.

« Qu’on ait pu affirmer vers 1920 que la Musique « n’exprime rien » me paraît une aberration !
La vie musicale d’alors était tellement différente de celle d’aujourd’hui. Si on désirait de la musique, il fallait la faire soi-même (point d’enregistrements, de disques, de radios, etc). J’ai entendu pour la première fois un orchestre à l’âge de 17 ans : habitant Le Locle, j’étais monté à La Chaux -de -Fonds pour un concert donné par l’orchestre de Bâle. Il est entendu que je connaissais à fond les symphonies classiques transcrites pour 4 mains, et ce fut une joie inouïe d’entendre la 2ème symphonie de Beethoven et le concerto pour violon de Mendelssohn, joués par l’orchestre ! Joie de l’oreille qui m’ouvrait de nouveaux horizons. »

La musique est un langage, elle porte une pensée, un sentiment ; elle doit entrer dans le cœur des auditeurs, comme une présence amie, un regard ami. Et ne jamais croire qu’une prouesse technique a une valeur quelconque quant à l’apport de l’œuvre. Il est entendu que le compositeur doit être un bon technicien, mais cela doit aller de soi ; c’est tout autre chose que la musique doit manifester, c’est l’ouverture sur le monde intérieur, sur l’illumination de l’âme. C’est la Joie. S’il n’y a pas la Joie, le silence vaut mieux. »
Notes de Bernard Reichel.

« Il nous faut des porteurs de joie et, chaque année à nouveau, dans le tumulte du déconcertant aujourd’hui, notre cœur attend le chant désarmé du pipeau de Noël. »
Alfred Berchtold « Promenade avec Bernard Reichel ».

Junod Robert 1902-1991
Robert Junod est né à Genève où il a enseigné pendant près de quarante ans la philosophie et la littérature. Auteur d’ouvrages philosophiques et pamphlétaires (« Les Eglises trahissent Dieu et trompent les hommes » aux éditions Perret-Gentil), « la Vision du Divin » et « les Grâces » aux éditions de la Baconnière), il s’est également fait connaître, à diverses reprises, par ses activités en faveur des objecteurs de conscience et au sein des mouvements pacifistes.
Petite bibliographie au dos de son livre : « Eprouver l’existence de Dieu avant de la prouver », Ed L’Age d’Homme.

Langage musical
« Les musiciens ont de la chance : le langage musical est non-intellectuel, il exprime directement, sans passer par la lourdeur des mots, ce qu’il y a de plus intérieur.
Et quelle précision dans un thème musical ! On ne pourrait changer une note dans une fugue de Bach, sans fausser quelque chose. Je comprends que les peintres cherchent à rejoindre la musique en utilisant le « non-figuratif », mais encore, les meilleurs montrent des objets, mais en attirant l’attention sur tout autre chose ; c’est une des merveilles de la peinture : réveiller un monde intérieur, en passant par le dessin et les formes d’objets divers qui ne sont eux-mêmes que le chemin . La grande musique nous mène au plus profond, au plus vrai, à la lumière la plus éclatante. C’est la grande musique, celle qui utilise les mêmes moyens depuis des siècles : ligne mélodique, proportions harmonieuses dans les rythmes, ordre tonal. On est loin du bruit, à l’opposé du bruit. Et si le bruit peut à l’occasion entrer dans la construction musicale, c’est qu’il n’est plus vraiment bruit, c’est qu’il rejoint la sonorité organisée, c’est qu’il entre dans la famille de la mélodie et de l’harmonie. »
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

Lemgo
Au hasard d’un congrès de musique d’église à Berne en 1952, Bernard Reichel rencontre le Kantor Walter Schmidt, directeur de la Kantorei de Lemgo en Allemagne (Westphalie).
On y avait créé son « Hymne à Jésus-Christ » et depuis lors, il sera presque plus joué à Lemgo qu’à Lausanne. Une amitié et une complicité musicale étaient nées.
Tiré du programme de concert à l’église St François à Lausanne à l’occasion du 80ème anniversaire du compositeur. Myriam Thétaz-Gramegna.

« Notre voyage s’est passé au mieux, tout facilement. Nous avons été reçu le plus gentiment du monde à Lemgo… on nous a soigné splendidement. Et le Kantor Schmidt a été de nouveau dans sa plus belle forme pour diriger les concerts. C’était fantastique d’entendre mon Magnificat résonner dans la Marienkirche, chanté impeccablement a capella, sans détonner d’un millième de ton, avec les voix tout simplement angéliques de la Kantorei. Les chanteurs ne sont pas des professionnels, mais ils prennent tous des leçons de chant avec le même professeur et ils répètent tant que cela est nécessaire. Plusieurs grandes œuvres ont été données avec orchestre (orchestre de chambre de Hambourg) ; il y a même eu une Messe de Mozart au culte du dimanche matin ; puis une Messe de Haydn, la Messe du Couronnement de Mozart, un Te Deum de Michaël Hayen, le Gloria de Vivaldi, etc, etc ; une avalanche de belles œuvres ; tout cela dans une atmosphère joyeuse et enthousiaste qu’on prolonge maintenant en soi – ce qui est bien nécessaire pour la vie de tous les jours dans notre bonne ville de Genève !. »
Correspondance avec F. Martin, 1956.

Et surtout, plus profondément encore, nous émeut ce chant pur, nourri d’une intense vie intérieure, qui dans presque toutes ses grandes oeuvres s’élève soudain: violon, hautbois, ou voix humaine. Le chant de l’âme inquiète et apaisée.
Pas de plus beau symbole du sens de l’oeuvre d’art que celui-ci. C’est pour la Marienkirche de Lemgo libérée de la boue qui l’envahissait depuis des siècles que Bernard Reichel a composé son Gloria.
Alfred Berchtold «  Promenade avec Bernard Reichel ».

Musique religieuse
« La musique est simplement musique, c’est-à-dire expression de la vie humaine sous tous ses aspects.
Elle peut manifester certains caractères : solidité – équilibre – joie ou crainte – harmonie entre tous ses éléments – assurance, profondeur, etc qui correspondent aux buts du culte chrétien (qui doit aider l’homme à accomplir au plus haut point sa vocation d’homme, grâce à un juste équilibre entre les éléments qui constituent la personne humaine).
Une musique dont le caractère est la morbidité, la mollesse, le relâchement, la sentimentalité, une exagération de l’expression individuelle, ne peut entrer dans le cadre de la musique d’église.
La personnalité du compositeur s’exprime toujours dans sa musique qu’il le veuille ou non. C’est pourquoi, si l’homme a en lui la grandeur, la puissance, la générosité, la foi, ces qualités se retrouveront dans ses œuvres quelles qu’elles soient. (Bach, dans ses suites, danses, etc). Une pièce comme l’Aria de la Suite en Ré est au plus haut point de la musique religieuse, mais sans aucune intention de la part de Bach. Il a simplement composé un mouvement lent pour sa Suite.
De même, dans les suites de danses anciennes, que de pièces sans but religieux, sont par leur expression, de la musique digne du culte, alors que des centaines de cantiques composés par des hommes pleins de bonnes intentions et eux-mêmes profondément religieux, ne valent rien et sont uniquement des produits douteux de leur sentimentalité.
Si beaucoup de danses anciennes ont les qualités requises par la célébration du culte, c’est qu’elles possèdent un équilibre absolu entre l’élément physique (le rythme) et l’élément spirituel (mélodie – harmonie). De là leur expression saine et positive.
Il est rare que la danse actuelle possède la même qualité car le physique l’emporte de beaucoup sur le spirituel. De là leur pauvreté.
La musique d’église doit être à un niveau élevé, musicalement parlant (si elle est vocale, les plus belles paroles ne la relèvent pas).
Toute musique peut être à sa place dans le culte, à condition qu’elle ne contienne aucune vulgarité, qu’elle n’éveille aucune association d’idées malsaines, que l’élément spirituel l’emporte sur l’élément matériel.
On ne s’improvise pas compositeur …
Les cantiques du réveil et tous ceux qui leur ressemblent n’ont aucune valeur, car ils sont uniquement l’expression d’une sentimentalité qui n’a rien à voir avec le sentiment religieux.
La perfection esthétique est indispensable, mais n’est en rien le but de la musique.
Au moment où le compositeur travaille, il a uniquement pour but de faire de la bonne musique , dans quelque genre que ce soit. Il met le même soin à un scherzo symphonique qu’à un choral fugué – le scherzo sera à sa place au concert, le choral au culte. »
Notes de Bernard Reichel.

« La musique promue au niveau de musique religieuse a pour but d’élever l’être dans le sens spirituel. »
Notes de Bernard Reichel.

Musique profane
Il ne faudrait cependant pas limiter le rayonnement de Reichel à la musique d’église même si souvent son langage reste serein, contemplatif et recueilli. Nous dirons également que, chez lui la distinction « musique profane » et « musique religieuse » ne sépare en fait que la destination des œuvres, les circonstances auxquelles elles doivent appartenir, car une ferme unité de style réunit les deux expressions musicales, en effet, Reichel ne désire pas que, d’une façon presque automatique, la musique religieuse revête soit d’un sérieux quasi officiel, soit d’une solennité obligatoire. Ainsi, de tel ou tel fragment de cantate peut se dégager librement un rythme actif, un message capital mais joyeux, chaleureux, positif. De même, plus d’un texte considéré comme profane peut imposer un discours musical plus grave et proche du sentiment religieux.
Jean-Louis Matthey Préface de l’inventaire du Fonds musical Bernard Reichel déposé à la Bibliothèque Cantonale et Universitaire de Lausanne, département de la Musique en 1974.

Organiste
Bien avant vingt ans, Bernard Reichel se met à composer et fait office d’organiste aux Eplatures. En ces années de guerre, il n’y a pas de train le dimanche, et le trajet d’une heure en partant du Locle se fait souvent par moins 20 degrés. Salubre apprentissage, et qui convient mieux au jeune homme que l’atelier de bijouterie tôt abandonné. Organiste, Reichel le sera pendant près de 50 ans à Genève, au Petit-Saconnex d’abord, puis à Chêne-Bougeries et enfin aux Eaux-Vives, dont la paroisse reconnaissante l’a honoré en novembre 1969 par l’organisation d’une semaine consacrée à l’audition de ses oeuvres. L’orgue, pourrait-on dire, c’est la part de la tradition dans la vie de Bernard Reichel, c’est le contact avec le trésor des chorals du passé. »
Alfred Berchtold, « Promenade avec Bernard Reichel »

…titulaire des orgues de la paroisse des Eplatures, puis du Petit-Saconnex, de Chêne-Bougeries et des Eaux-Vives, Reichel a consacré plusieurs recueils à son instrument. Il a dans un esprit de franche collégialité dédié plusieurs pages à des amis organistes comme Kurt Wolfgang Senn, Pierre Segond, André Mercier, Hans Balmer et André Luy. Membre fondateur de l’Association des organistes protestants romands, il a toute sa vie œuvré pour défendre le rôle de la musique dans le culte et la vie paroissiale.
Fonds musical Bernard Reichel, 1974, Bibliothèque Cantonale et Universitaire de Lausanne.
Extraits de l’Avant-propos de l’inventaire rédigé par Jean-Louis Matthey.

Professeur
C’est en suivant un cours d’harmonie que je fis sa connaissance. Je me souviens que, lors d’une leçon où Reichel avait apporté « le Roi David » d’Honegger pour nous en expliquer l’harmonie, désirant nous initier à la musique « moderne » (à l’époque !) l’enthousiasme avait été général. Pour moi ce fut un coup de foudre ! L’harmonie, auparavant rébarbative, m’apparut comme un dialogue clair, aussi captivant qu’une palette de peintre…
Pendant plusieurs années, il nous tint en haleine en analysant une gamme complète d’oeuvres à travers le chant grégorien, la Renaissance, les musiques baroque, classique, romantique et moderne jusqu’à Strawinsky ; ceci agrémenté d’anecdotes se rapportant toujours à des domaines variés, tels que la littérature (La Chanson de Roland, Dante, Goethe, Peguy, Ramuz, Rilke), la peinture (Giotto, Le Greco, Manet, Van Gogh, Matisse, Bonnard, Toepffer), la sculpture (Rodin), l’architecture (spécialement les arts romans et gothiques), sans oublier les grands mystiques (St Augustin, Teilhard de Chardin, le Père de Foucauld, la Bible) tout étant source d’inspiration.
Florence Sechehaye, Journal de l’Institut J. Dalcroze, 1993.

L’équilibre des phrases … : chose nécessaire et mystérieuse, qui transcende les règles… !
Pour nous aider à pénétrer le secret de ce composé de rigueur et de liberté, il nous lit quelques passages des Entretiens sur l’architecture de Viollet- le – Duc, il nous déclame des poèmes de Victor Hugo, et il nous laisse ces mots impérissables : « Ta phrase, vois-tu, elle doit pouvoir se poser…comme une mouette sur un rocher… ».
Les vraies leçons tiennent en peu de mots ; celles de Bernard Reichel avaient pour noms simplicité, authenticité, nécessité, générosité …
Marie-Laure Bachmann, Journal de l’Institut J. Dalcroze, 1993.

Sur le plan musical, je dois beaucoup à l’ami Bernard Reichel. Personne ne m’a expliqué, mieux que lui, l’origine d’une sixte augmentée ou les pouvoirs multiples de l’accord diminué. Nous avions ensemble des conversations passionnantes concernant l’harmonie ou la construction d’une œuvre, qu’il s’agisse de Bach, Reichel, Fauré ou Schumann.
Il y a quelques années, je lui faisais remarquer que nous disposions de nombreuses Basses de lui à harmoniser, mais que les Mélodies manquaient un peu. Quatre jours plus tard, il en avait composé cent- vingt ! (sur lesquelles nous travaillons toujours).
Bernard Reichel demeure vivant parmi nous par ses lettres, par son œuvre et l’exemple qu’il nous laisse d’une existence entièrement vouée à la Musique.
Comme tout compositeur digne de ce nom (je pense en particulier à son cher ami Frank Martin), Reichel a connu des heures de doute et des périodes d’aridité. Mais quelle joie illuminait son clair visage lorsque des interprètes amis révélaient une de ses œuvres à un public réceptif ; quelle satisfaction aussi du pédagogue livrant les secrets de sa riche expérience à des élèves sensibles et curieux d’esprit !
L’institut Jaques-Dalcroze et le Conservatoire de Musique de Genève ont bénéficié – durant de nombreuses années – de son enseignement si vivant de l’harmonie et de l’improvisation. La rigueur laissait la place à la formation du goût et à l’éveil de l’imagination. Mais la grande leçon que nous pouvons tous tirer, pensant à Bernard Reichel, c’est une constante pratique des œuvres des grands maîtres, qu’il s’agit d’approfondir, jouer, analyser ou écouter sans jamais se lasser et avec un cœur toujours jeune.
Christiane Montandon, 2 octobre 1993, Journal de l’Institut Jaques Dalcroze : » Autour de Bernard Reichel, souvenirs et impressions ».

« J’ai poursuivi mes études musicales entre autre avec Bernard Reichel. Je lui dois beaucoup. Il m’a conduit sur le chemin que je cherchais. Avec lui, j’ai pris conscience de la responsabilité du compositeur.
Michel Hostettler, La Revue des Cèdres no 34, « Des moments rares… », p 71.

Rythme
« La musique qui n’a pas une forme rythmique bien dessinée est ennuyeuse. C’est le rythme bien équilibré, bien « balancé », net de construction qui donne l’affirmation. La musique qui ressemble à des vagues improvisations rêveuses n’apporte rien … »
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

« La musique – comme l’art en général – qui apporte la paix est celle qui est bien construite, équilibrée, se développant comme un discours logique, riche de vie, de couleurs, d’expression contenue dans la mélodie et l’harmonie. Timbres, nuances sont des éléments de la musique, nécessaires, mais en seconde ligne. Les éléments essentiels sont le rythme et le son. La construction fondamentale réside dans les sons d’une certaine hauteur et d’une certaine durée. Les timbres et les nuances peuvent varier à l’infini : on voit cela dans les pièces d’orgue qui peuvent être registrées de vingt manières différentes (ce qui arrive par la force des choses, car il n’y a pas deux orgues absolument pareils).
Les vrais chefs d’œuvres sont relativement faciles à mémoriser. Ils ressemblent à des phénomènes naturels. L’artiste peut rejoindre la nature – une période, une phrase appelle la suivante. »
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

Schubert Franz
« 13 septembre 1986
Entendu à la radio, les trois premiers mouvements du Quintette de Schubert, magnifiquement joués par le quatuor Sine Nomine plus Fr. Guye.
C’est une œuvre qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer, comme richesse d’expression, comme intensité d’âme, de présence humaine… Où Schubert a-t-il pu trouver tout ce monde de vie intérieure, et quelle puissance, quelle force a-t-il dû sentir en lui, pour écrire tout cela avec quelle sûreté, quelle perfection, quelle beauté dans la construction et dans l’emploi des cinq instruments !
Presque toujours, chez les grands classiques, on s’est d’abord placé dans un monde riche de thèmes, de modulations, de contrastes parfois, un univers, une attente. C’est ensuite qu’apparaît la perle rare, le grand thème, le visage nouveau, tout autre, pleinement exposé, parfois longuement présenté (Schubert), lui qui forme un tout, comme un morceau dans l’ensemble – personnage apparaissant dans toute sa plénitude. »
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

Tonalité
« C’est la Tonalité qui a permis les constructions telles que l’« Héroïque « ou la « Jupiter » ou les immensités wagnériennes. La tonalité est la force attractive, le ciment de l’ensemble d’une œuvre. C’est le centre du système comme le soleil. »
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

Vérité
« Lorsqu’on entreprend une nouvelle composition, ne penser qu’à cette nouvelle œuvre, et l’accepter comme elle vient. Les réflexions et les comparaisons, tout ce qui touche aux connaissances culturelles n’ont que faire à ce moment. C’est le « fond de l’être » qui s’exprime. Il n’y a qu’à écouter et choisir ce qui est vrai, c’est comme un « tri », car tout vient, il faut veiller à la plus haute qualité. »
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

« Si j’étais plus jeune, j’aurais encore la force de composer … alors je laisserais de côté complètement toute préoccupation intellectuelle, écrivant uniquement ce qui me paraîtrait véridique, sans une préoccupation de ressemblances, de rappels de choses connues. Si l’on écoute attentivement ce qui vit dans le fond de notre être, il n’y a aucun danger d’imiter, de copier, de refaire du « déjà fait », car la vie ne se répète pas : ce qu’on fait avec toute son âme ne peut être du « déjà fait ».
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.

« Lorsque je vois l’état actuel de la musique, le goût de ces musiciens qui écrivent de curieuses choses sans viser à la beauté, à l’équilibre, à une solidité d’ensemble et une logique quelconque, je me demande par moment ce que je fais par là … Ma pauvre musique est d’un âge passé, mais elle est je crois, du moins je l’espère, « musicale », c’est-à-dire qu’elle communique une vérité, qu’elle « parle » un langage compréhensible pour les autres, saisissable plutôt, et que tous les sentiments exprimés dans ma musique sont nettement perceptibles par ceux qui l’écoutent…
Un orchestre, composé de cent musiciens qui produisent les bruits les plus divers avec leurs instruments, n’est encore qu’une mare stagnante comparé à un petit enfant chantant une simple chanson populaire : là est la Musique toute simple mais vraie. »
Notes de Bernard Reichel, Lutry, 1985.